Daniel Lachaise nous a quittés brutalement, à 59 ans, le 2 juillet.Directeur de recherche au CNRS, il était titulaire de la médaille de bronze du CNRS et lauréat du prix Foulon de l’Académie des Sciences. Guidé par Léonidas Tsacas et Maxime Lamotte, Daniel Lachaise s’est d’abord révélé comme un écologiste des Drosophilidae des savanes forestières de Lamto. Ce premier séjour dans la station de recherche de Côte d’Ivoire fut décisif pour l’orientation de ses recherches. Après son recrutement au CNRS dans le laboratoire d’Evolution de Gif-sur-Yvette, alors dirigé par Charles Bocquet, Daniel s’est résolument orienté vers la systématique évolutive et plus particulièrement la spéciation des drosophiles. L’Afrique est devenue son terrain de prédilection, et il l’arpentait avec détermination. Dans ses aventures tropicales, il savait associer des spécialistes de domaines variés avec lesquels il organisait très minutieusement le programme scientifique. Soucieux de reconstituer l’histoire de la naissance des espèces, il s’attachait certes aux drosophiles mais s’intéressait également de très près à l’histoire du berceau de l’Humanité qu’il gardait toujours en toile de fond de ses préoccupations scientifiques.
Biosystématicien dès les premières années de sa carrière, il était depuis quelques années Directeur de publication des Annales de la Société Entomologique de France et aujourd’hui seul détenteur de l’héritage taxonomique sur les Drosophilidae afrotropicaux. Il avait participé au développement de l’écologie évolutive, discipline qui n’avait pas d’équivalent formalisé en France au moment de son séjour à l’Université de Riverside (Californie) dans les années 80, et c’est dans ce contexte qu’il s’intéressait aux relations entre gènes, écologie, comportement, adaptation et spéciation. Ardent promoteur de l’usage de la systématique dans une perspective évolutive, il manipulait les données moléculaires aussi facilement que celles ayant trait à la morphologie ou à la biogéographie. L’une des questions fondamentales de la biologie de l’évolution est de comprendre quels changements ont contribué directement à la spéciation et quels autres se sont accumulés après l’événement de spéciation. Ainsi, outre l’intérêt qu’il portait à la systématique pour elle même, elle l’intéressait en ce qu’elle permet de faire le lien entre l’émergence d’innovations évolutives et leur fixation dans les populations naturelles.
C’est avec brio qu’associant une excellente connaissance de la phyto- et paléogéographie de l’Afrique intertropicale, acquise au fil de plus de 40 missions dans cette région, à un ensemble de données biologiques et phylogénétiques, il avait élaboré puis affiné un scénario sur l’origine et l’histoire évolutive de l’emblématique Drosophila melanogaster et ses espèces sœurs, scénario qui fait autorité dans la communauté scientifique. Il avait récemment formulé des hypothèses originales sur le rôle des « îles » , insulaires et continentales (issues de la fragmentation des forêts de montagne), dans la spéciation des drosophiles. Il s’attachait actuellement à vérifier ces hypothèses dans les situations modèles des archipels de l’Océan Indien et de la ligne volcanique du Cameroun, deux des centres de spéciation majeurs du sous-groupe melanogaster. Guidé par ses capacités d’analyse et sa lucidité, il avait un réel talent de découvreur d’espèces nouvelles et de situations singulières qui furent à l’origine d’autant de nouveaux programmes de recherche. On lui doit notamment la première zone hybride connue chez les drosophiles sur l’île de São Tomé.
Homme de terrain avant tout mais également passionné par l’art de l’écriture, il manipulait les styles avec aisance, passant du scientifique à la poésie avec une facilité déconcertante. Orateur de talent, il savait captiver son public qu’il soit spécialiste ou non. Daniel Lachaise c’était aussi un enthousiasme exceptionnel, communicatif, auquel aucun de ceux qui ont eu le privilège de travailler avec lui, ou simplement de croiser son chemin, ne restait insensible. On ne peut évoquer Daniel sans mentionner son ouverture d’esprit et sa générosité qui, sans jamais se départir de la rigueur scientifique qui était la sienne, le conduisait à privilégier une humanité dans le plus grand respect de l’autre.
Nous perdons un homme et un chercheur de grande valeur.
Le laboratoire s’associe à la famille et vous invite à apporter votre témoignage de sympathie par courriel à cette adresse : daniel@universite-paris-saclay.fr
