Etude des transferts horizontaux de gènes de guêpes parasitoïdes à leurs lépidoptères hôtes.

Stage co-dirigé par Clément Gilbert (EGCE) et Elisabeth Huguet (IRBI, Tours)

Email : clement.gilbert@etce.cnrs-gif.fr

La plupart des guêpes parasitoïdes (Hymenoptera, Ichneumonoidea) sont koïnobiontes, c’est-à-dire qu’elles effectuent leur développement larvaire à l’intérieur des arthropodes qu’elles parasitent en maintenant ceux-ci en vie jusqu’à leur propre nymphose (Beckage and Drezen 2012). Ce type d’association intime et durable implique des interactions physiologiques et immunitaires relativement complexes entre les guêpes et leurs hôtes. Plusieurs familles de guêpes ont même domestiqué des gènes viraux intégrés dans leur génome, leur permettant de synthétiser des particules virales non réplicatives qu’elles injectent en même temps que leurs œufs dans les larves de leurs hôtes (Herniou et al. 2013 ; Drezen et al. 2017). Ces particules contiennent des facteurs de virulence (ADNs circulaires, protéines) qui atténuent la réponse immunitaire de l’hôte et facilitent ainsi le développement des larves de guêpes. Une étude récente réalisée en laboratoire à l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (IRBI ; université de Tours) montre que de nombreuses copies des cercles d’ADN encapsidés dans les particules virales de la guêpe Cotesia congregata (Braconidae) sont intégrées de manière systématique, à chaque infection, dans le génome des cellules immunitaires de son hôte (le sphinx du tabac, Manduca sexta) (Chevignon et al. 2018). Ce phénomène de transformation génomique d’un hôte par son parasite eucaryote est unique. Il pourrait permettre, en absence de réplication virale, aux gènes viraux d’être maintenus et exprimés dans les cellules hôtes pendant tout le temps nécessaire au développement des embryons de guêpes. Cependant, le rôle joué par ces intégrations et leur importance dans les interactions guêpes/hôtes restent encore à éclaircir. Par ailleurs, on sait que certaines populations d’hôtes peuvent devenir résistantes au parasitisme, et donc survivre aux infections. Si des intégrations de cercles d’ADN de virus se produisaient dans la lignée germinale de ces populations résistantes, elles pourraient être transmises verticalement. Les interactions entre guêpes parasitoïdes et leurs hôtes offrent donc un contexte propice aux transferts horizontaux de matériel génétique (TH) entre espèces.

De manière générale, les TH semblent avoir joué un rôle plus important qu’on ne le pensait auparavant dans l’évolution des eucaryotes (Loreto et al. 2008; Schaack et al. 2010; Syvanen 2012; Boto 2014). Cependant les mécanismes expliquant ces transferts restent inconnus (Gilbert & Cordaux 2017). Plusieurs travaux montrent que des TH de gènes de guêpes parasitoïdes à des lépidoptères ont bien eu lieu dans le passé (Schneider and Thomas 2014; Gasmi et al. 2015). Mais ceux-ci sont trop anciens pour espérer comprendre comment ils se sont produits. La découverte des intégrations systématiques d’ADN viraux associés aux guêpes dans les génomes de lépidoptères parasités offre une opportunité unique de faire la lumière sur un des mécanismes possibles de TH entre animaux.

Le projet aura pour objectif de caractériser la fréquence des intégrations de cercles d’ADN d’un virus d’une guêpe proche de C. congregata (Cotesia typhae, (Kaiser et al. 2017)) chez différentes populations et espèces de lépidoptères. Il vise également à évaluer la possibilité que ces intégrations se produisent dans la lignée germinale et soient transmises verticalement chez des hôtes résistants. Les patrons d’intégration dans les cellules somatiques (hémocytes, corps gras) et germinales seront comparés entre populations sensibles et résistantes d’une espèce de lépidoptère cible, la sésamie du maïs, Sesamia nonagrioides (Benoist et al. 2017) et entre S. nonagrioides et une espèce qui n’est pas un hôte naturel (la pyrale du maïs, Ostrinia nubilalis). Les intégrations seront recherchées non seulement chez des individus parasités au laboratoire mais également dans des populations naturelles.

 

Références

Beckage, N. E., and J.-M. Drezen (Eds.), 2012 Parasitoid viruses: symbionts and pathogens. Elsevier/Academic Press, London ; New York.

Benoist, R., C. Chantre, C. Capdevielle-Dulac, M. Bodet, F. Mougel et al., 2017 Relationship between oviposition, virulence gene expression and parasitism success in Cotesia typhae nov. sp. parasitoid strains. Genetica 145: 469–479.

Boto, L., 2014 Horizontal gene transfer in the acquisition of novel traits by metazoans. Proc Biol Sci 281: 20132450.

Burke, G. R., S. A. Thomas, J. H. Eum, and M. R. Strand, 2013 Mutualistic Polydnaviruses Share Essential Replication Gene Functions with Pathogenic Ancestors (D. S. Schneider, Ed.). PLoS Pathog. 9: e1003348.

Chevignon G, Periquet G, Gyapay G, Vega-Czarny N, Musset K, Drezen JM, Huguet E. Cotesia congregata Bracovirus Circles Encoding PTP and Ankyrin Genes Integrate into the DNA of Parasitized Manduca sexta Hemocytes. J Virol. 2018 92(15).

Drezen, J.-M., M. Leobold, A. Bézier, E. Huguet, A.-N. Volkoff et al., 2017 Endogenous viruses of parasitic wasps: variations on a common theme. Curr. Opin. Virol. 25: 41–48.

Gasmi, L., H. Boulain, J. Gauthier, A. Hua-Van, K. Musset et al., 2015 Recurrent Domestication by Lepidoptera of Genes from Their Parasites Mediated by Bracoviruses. PLoS Genet. 11: e1005470.

Gilbert, C., and R. Cordaux, 2017 Viruses as vectors of horizontal transfer of genetic material in eukaryotes. Curr. Opin. Virol. 25: 16–22.

Herniou, E. A., E. Huguet, J. Theze, A. Bezier, G. Periquet et al., 2013 When parasitic wasps hijacked viruses: genomic and functional evolution of polydnaviruses. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 368: 20130051.

Kaiser, L., J. Fernandez-Triana, C. Capdevielle-Dulac, C. Chantre, M. Bodet et al., 2017 Systematics and biology of Cotesia typhae sp. n. (Hymenoptera, Braconidae, Microgastrinae), a potential biological control agent against the noctuid Mediterranean corn borer, Sesamia nonagrioides. ZooKeys 682: 105–136.

Loreto, E. L., C. M. Carareto, and P. Capy, 2008 Revisiting horizontal transfer of transposable elements in Drosophila. Hered. Edinb 100: 545–54.

Schaack, S., C. Gilbert, and C. Feschotte, 2010 Promiscuous DNA: horizontal transfer of transposable elements and why it matters for eukaryotic evolution. Trends Ecol Evol 25: 537–46.

Schneider, S. E., and J. H. Thomas, 2014 Accidental genetic engineers: horizontal sequence transfer from parasitoid wasps to their Lepidopteran hosts. PloS One 9: e109446.

Syvanen, M., 2012 Evolutionary implications of horizontal gene transfer. Annu. Rev. Genet. 46: 341–58.

 

Contexte, compétences recherchées, et encadrement

Nous recherchons un/e étudiant/e enthousiaste et motivé/e et ayant de bonnes connaissances en évolution génomique. Une des tâches principales du stage de M2 consistera à assembler et annoter le génome de Sesamia nonagrioides (en combinant des données illumina et PacBio). L’étudiant/e devra donc être à l’aise sur un terminal Unix et de préférence maitriser au moins un langage de programmation. Idéalement, l’étudiant/e réaliserait aussi quelques manips pilotes de biologie moléculaire de paillasse consistant à rechercher par PCR des inserts de Cotesia typhae dans des populations de lépidoptères. Nous prévoyons de continuer ce projet sur la durée d’une thèse, dont le financement devra être acquis par l’étudiant/e qui pourra postuler à l’école doctorale SDSV de l’université Paris-Saclay. Le stage se déroulera entièrement au laboratoire EGCE à Gif sur Yvette et sera encadré par Clément Gilbert (EGCE) et Elisabeth Huguet (IRBI, Tours).

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